A l'heure où la tension monte encore d'un cran entre les deux Corée, et où Séoul entame, cette semaine, une série d'exercices d'intimidation militaire, les pays de la région ont réitéré leur souhait de voir les Etats-Unis s'impliquer davantage dans le Pacifique. Même s'il n'est pas question d'augmenter leur présence militaire, une nouvelle orientation de la politique étrangère américaine est en marche.
Encourager subtilement les européens à prendre leur envol.
Les Européens devront s’habituer au nouvel équilibre international : les Etats-Unis assument aujourd’hui pleinement leur rôle de « puissance pacifique » pour reprendre l’expression d’Henry Kissinger, prononcée à Genève, en automne dernier.
L’Alliance Atlantique a beau rester l’une des constantes de la politique étrangère américaine, comme le confirment les récentes décisions du sommet de Lisbonne sur les grandes orientations de l’OTAN. L’accord historique franco-britannique de coopération militaire et plus particulièrement son volet nucléaire marque bien le recul de l’investissement américain dans les questions de défense européenne : Sans l’approbation tacite des Etats-Unis, un tel niveau de coopération militaire n’aurait sans doute pas vu le jour car leur partenaire privilégié en Europe, la Grande-Bretagne, n’aurait pas envisagé, même en période de restrictions budgétaires, s’allier si étroitement avec une puissance continentale. Il est clair que l’importance de la « special relationship » entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui dure depuis la seconde guerre mondiale, diminue donc à l’orée de nouveaux partenariats avec les puissances pacifiques.
Endiguer la Chine de tous les côtés.
La nouvelle relation amorcée avec la Russie, mise en place par Obama doit être aussi interprétée dans un contexte de volonté d’endiguement de la Chine, même si ce dégel apparaît, pour la plupart des observateurs, comme faisant partie intégrante d’une politique européenne de sécurité.
Craignant une Chine toujours plus dominante dans la région et dans le monde, les Etats-Unis, tout en conservant leurs alliés traditionnels comme la Corée du sud, ont choisi l’Inde comme tremplin pour créer un nouvel élan vers une politique étrangère plus asiatique.
C’est en ce sens qu’il faut analyser la visite en Inde en novembre dernier du Président Obama, au cours de laquelle il a déclaré : « La relation entre l’Inde et les Etats-Unis est la relation clef du 21ème siècle. » Ne pouvant faire assumer à son pays plus longtemps les coûts astronomiques du rôle d’unique hyperpuissance hérité de la guerre froide, Obama s’attache à trouver des partenaires ayant un intérêt dans la résolution de crises régionales, afin de partager le fardeau financier et militaire de la gestion des conflits.
La ruée vers l’Inde.
Dans cette optique le choix de l’Inde, principale démocratie de la région s’impose : les deux puissances ont des intérêts parallèles dans la résolution du conflit afghan et de l’endiguement du Pakistan, pays à la politique ambiguë.
Allié incertain, pour les Etats-Unis, le Pakistan est également un rival géopolitique de l’Inde. L’investissement économique de l’Inde en Afghanistan, qui participe à la reconstruction depuis 2002, répond ainsi à la nécessité de contrecarrer l’influence pakistanaise dans la région, dans l’espoir de voir un Afghanistan pacifié, plus neutre à défaut d’être clairement pro occidental. L’Inde est aussi pour les Etats- Unis un partenaire économique important comme le montrent les contrats signés pendant la visite du président américain, et un rempart particulièrement attractif contre la puissance financière grandissante de la Chine.
La récente visite de Nicolas Sarkozy en Inde, début décembre, et la signature d’un nombre impressionnant de contrats pour la France, notamment dans le domaine nucléaire et aéronautique montre bien l’importance capitale de ce nouveau géant que le Président français qualifie de « partenaire stratégique majeur » . C’est aussi au tour de l’Europe de réagir et de se créer une place dans le nouvel équilibre géopolitique qui se dessine à l’horizon.
Un nouveau tournant pour une administration essoufflée
Cette orientation pourra-t-elle redynamiser une administration à l’image écornée et convaincre un pays anxieux à l’idée de son propre déclin ? Cette nouvelle politique étrangère serait-elle une tentative de restauration du consensus national dont Obama avait évoqué l’importance dans son discours d’investiture, à l’approche de l’intronisation du nouveau Congrès républicain en janvier prochain ?
Après l’épuisant combat pour la mise en place de la réforme de l’assurance maladie, sa gestion controversée de la crise économique, et notamment son plan de relance, le Président Obama est à la recherche de dossiers qui privilégieraient la collaboration des élus démocrates et républicains.
Loin de craindre un repli isolationniste, il faut s’attendre à ce que les Etats-Unis s’investissent dans ces nouvelles régions pour redonner au Président une aura qu’il n’a pas su préserver à l’intérieur du pays, et qui pourrait lui garantir une plateforme prestigieuse, alors que la campagne présidentielle s’annonce houleuse dans un contexte de crise économique encore brutale et non résolue.
Cependant ; au-delà des raisons pragmatiques, l’ère « Pacifique » des Etats-Unis est une lame de fond qui dépasse les querelles partisanes. Cette nouvelle orientation plus asiatique perdurera sans aucun doute, quel que soit l’issue du scrutin présidentiel de 2012.
par
Brigitte Ades
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